Lies van Gasse, poème parisien (fragment)
traduction par Kim Andringa
(…)
Le bain déborde. Les nageurs vont et viennent en troupeaux,
suivant le fleuve. Un homme lève le poing,
une trace de sang rayonne le long des lignes d’eau.
Des bonnets de bain plongent et émergent
comme des globes en acier brillant.
Multicolores, ils coiffent les corps
Du sang se répand le long des bords.
Les uns après les autres, on sort du bain.
Quelqu’un se hisse
et son dos est comme un mur.
L’eau bascule en aplats
qui se maintiennent en équilibre.
La tour en fil de fer disparaît en tournant,
cathédrale qu’on dirait construite sur la lumière,
la délicate torsion des ponts,
devant une pataugeoire,
un corps s’étirant jusqu’aux pointes,
des jambes qui ruissellent.
Peu après les troupeaux sèchent
à l’extérieur, ils ont des regards
qui parcourent les corps.
Vêtus à présent, mais pulsatiles,
et durs, et tendres et chauds,
et douillets comme un gant qui enserre.
Scintillant dans ma mémoire
une étoile noire brille, un corps
qui fuse dans chaque direction,
et coupé court, et indompté,
et sombre en chemin vers un rêve
dans cette ville, tressaillant presque,
la ville qui estompe ses étoiles.
Je rêve d’une ville comme le sable,
se réchauffant peu à peu
jusqu’à ce que le sol nous colle aux pieds.
Dans la nuit, je tiens un enfant,
qui me lance un regard duveteux.
Les gens tâtent et tripotent.
Elle me parle, une langue pleine
qui colle aux oreilles comme l’air chaud,
me surprend de cohérence,
et quand nuages et trains défilent,
que pèse la densité de la chaleur,
elle dit alors :
« tu es une charnière
au début de la phrase.
Tu as beaucoup à dire,
mais il faut bien le recouvrir. »
Je tends la main
pleine de pensées épaisses,
de voix glissantes en hauteur,
minces filets sous la coupole.
Je ris, car le vent
est une cicatrice qui gronde.
Des chevaux mesurent la nuit.
Dans la rue, des gens interpellent
le ballon qui rebondit, le but.
Des chorales couvrent les toits
d’un vacarme inattendu.
Je rêve d’une phrase qui se répète, d’une
voix résonnant dans la nappe d’air, le muezzin
frêle qui convainc la masse.
L’axe de symétrie
bien souvent se trouve au cœur.
Sans cesse nous regardons
des hommes,
le bord, derrière des barreaux,
sous du fil.
Nous lisons des livres au soleil,
rampons sur une butte, une lueur
de soleil tôt tombé,
une veillée constellée de marbre.
Quelqu’un trouve un couteau sous le torchon.
Le souffle coupé, assis sur un banc,
nous oublions qui regarde encore.
Nos mains lâchées/dénouées comme des cordes,
nous dormons au chaud, rougeoyons fort.
Une fille grimpe la montagne, grande et noire
jusqu’à ce que la vérité éclabousse de ses cheveux.
Ça goutte. L’herbe haute peut être dangereuse.
Deux hommes font du footing en combi de plongée.
Hors de la table se dresse une paroi de verre
derrière laquelle se trouve la vie.
Un manque de nécessité nous appelle.
Je rêve d’une ville
où il y a des gelées en avril
et du redoux à noël.
Les plaques tectoniques glissent.
Tout est remplaçable,
y compris l’endroit où l’on tombe, le feu d’artifice,
les arbres enracinés proprement.
Des gens posent leur pied dans le béton
et engagent.
Une lame circulaire de couteaux
tournoie dans ma gorge
et y cherche l’œsophage.
Je rêve d’une ville sans vous.
Nous avons des intérêts plissés.
Sans vous, il n’y a pas de ville
et moi, réponse oubliée,
j’arrondis les sommets de vos rêves
de mon duvet.
Je rêve d’une ville
faite de gens,
de lignes parallèles qui pourtant se croisent,
d’une terrasse de toit partagée,
de corps poisseux sous le soleil,
de couloirs dans une piscine,
d’un cloisonnage de chambres,
de scènes en mouvement,
de la femme au loin cousant un manteau,
des lignes que l’on coud dans une peau,
du chanteur de jazz, noir dans son costume,
de dragons rouges et verts,
de touristes qui se massent,
un grillage de fer devant des étals,
de cartons remplis de disques bon marché,
de café serré,
de sable qui gicle sous la pluie,
de parapluies partagés,
des danger de l’incorruptibilité,
d’un voyage guidé en tram dans la banlieue,
au bout d’un rêve,
d’un voyage dépouillé,
voyeurisme coquet,
d’Afrique 1 dans le taxi,
de nuits passées dans des caves,
d’une boisson à la lavande,
de tunnels, puits et escaliers,
du métro en fin de service,
une voix ramassant les voyageurs,
les carnets perdus dans leur hâte,
de poètes murmurants,
d’une soirée dans une cuisine qui ferme,
bière éventée, un lit défait,
de corps collants, dansants,
d’un caddy, d’un rythme bouillant,
d’un dessinateur de BD égaré,
de pluies presque torrentielles,
une rivière étroite de parapluies,
des couvertures sous lesquelles nous rêvons
d’un matin au-dessus d’un champ de fumée,
de barquettes de fruits à la sortie du métro,
de magasins, de dessins sur des tissus.
Trois secondes toque l’horloge de la ville,
le tram, et se replie.